Dimanche 16 Juin 1940
« Après le départ des avant-postes fortifiés et des quelques groupes de voltigeurs, laissés par les troupes d’intervalles, c’est l’isolement total. La passerelle du bloc d’entrée est levée et ne s’abaissera plus avant l’Armistice. Les portes de secours des blocs de tête sont fermées.
Dans l’après-midi, obus fumigènes sur l’ouvrage. Nous continuons nos tirs sur Guising, Bettviller, Heidersmuhl ou l’ennemi commence à s’installer. »
Le lieutenant Huet nous rend compte du moral de la troupe, confinée dans l’ouvrage.
« Supplément : une journée d’incertitude, le Dimanche 16 Juin 1940
Le 15 au soir, une parole du capitaine Gollé, Etat-major de l’Intervalle du secteur fortifié de Rohrbach, nous jetait dans la stupeur. D’après le plan général, toute la ligne Maginot devait se retirer vers le Sud, abandonnant ouvrages, casemates, travaux. Et ce en 4 échelons :
1) Les divisions de renforcement – cela était fait depuis fin mai
2) Les intervalles – le 13 Juin
3) Les Avant-postes – le 15 Juin
4) Les troupes de forteresse permanentes
L’ordre de repli n’était pas encore donné ; mais le principe était admis, et cet ordre, il fallait de toute urgence le prévoir et le préparer. Abandonner ces fières forteresses, objet pendant 10 mois de tous nos soins ! Partir sans armement individuel, sans moyens de transport ! et traverser un pays déjà truffé d’ennemis ! Et cependant, l’Ordre est là.
Toute la journée du Dimanche, c’est l’attente. Les heures s’écoulent, lourdes, longues et chaque minute passée semble nous délivrer peu à peu de cette angoisse L’investissement allemand se poursuit, bientôt le départ ne sera plus possible, et déjà trop tard. Et dans l’égoïsme du moment, cet investissement complet nous allons jusqu’à le souhaiter.
A 16h, à la Popote des Officiers, sous la présidence du commandant d’ouvrage, réunion des chefs de bloc et de service. Le départ semble imminent, il faut prévoir le sabotage de l’ouvrage, les transmissions seront rendues inutilisables, dans chaque bloc, les culasses des armes seront démontées et enfouies, l’usine surtout, ce poumon de l’ouvrage, sera détruite.
Il faut prévoir le repli. Provisions, linge, armes, munitions, rien ne doit-être oublié. Les sections de marche sont organisées. Il faudra éviter les routes, les villages, les fermes, pour s’enfoncer dans les bois. C’est au lieutenant Demazi que revient le commandement de l’Avant-Garde et il mérite cet honneur. Car il le connait, ce pays, lui qui, en des temps plus heureux, l’a parcouru bien souvent à cheval. Le Lieutenant Huet sera à l’Arrière-Garde. Les lieutenants Jacquot, Casso et l’adjudant-chef Florimont, avec quelques sapeurs, resteront à l’ouvrage. Ils feront le sabotage. Et puis ils…essayeront de rejoindre.
Le cœur lourd chaque chef rejoint bloc et service. Un rapport immédiat. La nouvelle est lancée. Et chacun va….sans un mot, sans un commentaire, avec tristesse, le sac est monté, la musette est remplie. Abandonner ses armes que l’on connait, que l’on a étudiées, que l’on a vérifiées et ce au moment de se battre ! C’est une véritable souffrance !
Et on attend, 20h, 21h, 22h….Rien. Et cependant, à chaque sonnerie de téléphone, le cœur a tressailli.
On s’enfonce dans la nuit, sans avoir reçu d’ordre. On s’endort presque tranquille, car demain, ce sera trop tard.
N.B : nous apprendrons plus tard que ce même dimanche, dans la soirée, le capitaine Alloin, chef d’état-major au secteur fortifié de Rohrbach, apportant au Simserhoff l’ordre de repli, avait été capturé par les allemands à quelques kilomètres du but. »
Ltn Huet
Source :
Journal de marche du lieutenant Huet (mis à disposition de l’association par M. Patrick Perrin, retranscrit par F. Dannenhoffer)
Témoignages des caporaux-chef Cauchy et Bom, recueillies et publiées par Olivier Koch dans le livre Le Petit Ouvrage de Rohrbach (disponible à la vente à la boutique du Fort Casso, à Rohrbach-lès-Bitche).
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